Observons d'emblée qu'un diacre est un membre du clergé et non pas un laïc. Il reçoit en effet les ordres mineurs. Jusqu'à Vatican II, le diacre était un séminariste se préparant à devenir prêtre, mais on trouve maintenant des "diacres permanents", c'est-à-dire des hommes qui ne se destinent pas à la prêtrise. Cela ne change rien au regard de leur situation juridique, qui est celle d'un ministre du culte.
En l'espèce, l'archevêque a suspendu, en 2007, la procédure d'ordination du requérant, à la suite de révélations par une paroissienne de faits de nature sexuelle. Il a été renvoyé de l'état clérical par l'Officialité, sanction confirmée en appel par la Rote romaine. Le diocèse lui a ensuite notifié qu'il n'appartenait plus au clergé, qu'il n'était plus rémunéré, ni affilié à la caisse d'assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes. Il a également été mis en demeure de libérer le logement de fonction, mis à sa disposition par l'association diocésaine.
L'ex-diacre a saisi le tribunal de grande instance (aujourd'hui tribunal judiciaire) en 2019 pour obtenir la nullité de la sentence prononcée par la juridiction ecclésiastique ainsi que l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis. Il a été débouté, mais le tribunal s'était néanmoins déclaré compétent. La cour d'appel, en revanche, infirme le jugement en déclarant recevable l'exception d'incompétence. C'est ce jugement que confirme l'assemblée plénière de la Cour de cassation.
La neutralité de l'État
La loi de Séparation du 9 décembre 1905 affirme, dans son article 1er, que "la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes". L'article 2 ajoute immédiatement qu'elle "ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte". Le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC du 21 février 2013, ajoute que la laïcité implique "la neutralité de l'État".
Les diacres, comme les autres membres du clergé, ont un statut défini par le droit canonique, et contrôlé par les juridictions ecclésiastiques. Les juges de droit commun ne sont donc pratiquement jamais saisis. Tout au plus peut-on noter l'arrêt Pont rendu par le Conseil d'État le 17 octobre 1980, affirmant que l'administration hospitalière était tenue de mettre fin aux fonctions d'un aumônier protestant licencié par sa hiérarchie. Même en région concordataire d'Alsace-Moselle, le juge administratif, dans une décision Singa du 17 octobre 2012, se déclare incompétent pour apprécier la légalité de la nomination du curé d'une paroisse par l'évêque de Metz. Dans un arrêt du 2 décembre 1981, il avait déjà affirmé que l'administration était tenue de mettre fin au traitement d'un ministre du culte révoqué par l'évêque de Strasbourg.
La jurisprudence est donc particulièrement maigre, limitée à quelques décisions du juge administratif. L'intérêt de la présente affaire réside donc dans le fait que le requérant se plaint, en invoquant le droit à un juste procès garanti par la Convention européenne des droits de l'homme. Il se plaint de n'avoir pu défendre sa demande indemnitaire devant les juges du fond.
A bas les calottes. Henri Gustave Jossot. 1903
L'absence de lien contractuel
Mais il faudrait, pour cela, qu'un lien contractuel existe entre le diacre et l'Église, en l'espèce l'association cultuelle. Or la Cour de cassation, et cette fois la jurisprudence existe, considère que les ministres du culte ne sont pas titulaires d'un contrat de travail. Dans un arrêt du 12 juillet 2005, la chambre sociale en a décidé ainsi à propos d'un pasteur d'une mission évangéliste de Marseille qui avait saisi la juridiction prud'homale de son licenciement par l'association cultuelle.
S'il ne s'agit pas d'un contrat de travail, serait-il possible d'envisager un lien contractuel d'une autre nature ? L'article 1101 du code civil définit le contrat comme un "accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations". Dans le cas du diacre, il est clair qu'il s'engage à réaliser des missions au profit d'une association cultuelle, en échange d'un salaire, d'un logement, et d'une protection sociale.
Mais admettre un contrat innommé dans ce cas reviendrait à écarter la loi de Séparation, et c'est ce que précise l'assemblée plénière. En effet, l'ordination diaconale ou sacerdotale impose des obligations qui dépassent, de loin, de simples obligations contractuelles. D'une part, il s'agit d'un engagement perpétuel, du moins en principe. D'autre part, elle régit l'ensemble de la vie du clerc, lui imposant notamment un voeu de chasteté, contrainte que l'on ne saurait retrouver dans un contrat civil. Tous ces éléments relèvent du fonctionnement interne de l'Église, dans lequel l'État s'interdit d'intervenir.
Un recours détachable de l'état ecclésiastique
S'il n'est pas possible de retenir l'existence d'un lien contractuel, il est envisageable de considérer que certains recours sont, en quelque sorte, détachables de l'état ecclésiastique, notamment en matière de protection des droits et libertés ou lorsqu'il s'agit d'obtenir une indemnisation.
Dans son article sur "le pouvoir pénal de l'Église", publié en 2001, le professeur Mayaud considérait que ses "actions disciplinaires restent tributaires d'une contestation toujours possible devant les juridictions nationales, afin que soient impérativement préservées et corrigées les atteintes manifestes aux droits et libertés". Il commentait alors une sanction prononcée par l'Officialité diocésaine à l'encontre d'un expert comptable lui interdisant de gérer des biens ecclésiastiques. En condamnant son cabinet à une mort économique certaine, les juges ecclésiastiques portaient une atteinte à la liberté du travail, justifiant l'intervention des juridictions nationales.
En matière d'indemnisation, un jugement du 3 avril rendu par le tribunal judiciaire de Lorient condamne la Communauté des dominicaines du Saint-Esprit, le père abbé de l'abbaye de Saint-Wandrille et la mère abbesse de l'abbaye de Boulaurt à la réparation des préjudices subis par une moniale condamnée à une "exclaustration". Même si elle était soumise à un devoir d'obéissance, le fait d'être renvoyée sur le champ de son couvent, de ne plus avoir le droit de communiquer avec ses soeurs en religion, sans avoir bénéficié d'une procédure contradictoire ni même avoir été informée de ce qui lui était reproché a été considéré comme une atteinte trop importante aux principes généraux du droit, justifiant l'indemnisation. Ces préjudices sont considérés comme détachables de la procédure d'exclaustration, dans la mesure où la même sanction aurait pu être prise dans des conditions plus respectueuses des procédures. Ce jugement a suscité l'irritation du Vatican qui, dans une "note verbale" a contesté l'ingérence des juges internes dans la liberté religieuse, estimant qu'elle était contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
Mais il n'en est rien. La CEDH se montre en réalité très respectueuse de l'autonomie des États dans ce domaine. Dans un arrêt K. Nagy c. Hongrie du 14 septembre 2017, la Cour a précisément été saisie de la révocation d'un ministre du culte, un pasteur de l'Église réformée accusé de s'être exprimé un peu trop librement dans un journal local. En l'espèce, la CEDH estime qu'il n'appartient au juge interne de se prononcer sur le bien-fondé de la sanction, car il n'a pas le pouvoir de décider si un ministre du culte doit, ou non, conserver son statut clérical. En revanche, il lui appartient d'apprécier concrètement si un "droit défendable", c'est-à-dire le droit au respect de certaines procédures a, ou non, été violé. Dans l'affaire Nagy c. Hongrie, le requérant se bornait à contester le choix de la sanction, et donc son bien-fondé, ce qui ne relève pas de la compétence des tribunaux internes.
Dans sa décision du 4 avril 2025, l'assemblée plénière reprend la jurisprudence Nagy c. Hongrie, en affirmant qu'il n'appartient pas au juge judiciaire de se prononcer sur le bien-fondé d'une décision qui retirer l'état ecclésiastique à un diacre. En l'espèce, l'indemnisation des préjudices subi par le requérant n'est pas détachable de sa révocation. Qu'il s'agisse de la perte de son salaire, de son logement ou de sa protection sociale, ces dommages ne sont que l'effet automatique de cette révocation. Le diacre, qui s'était conduit sottement à l'égard d'une paroissienne, est donc définitivement renvoyé à la vie civile.
L'assemblée plénière parvient ainsi à résoudre le problème délicat de la frontière entre la sanction canonique qui relève exclusivement de l'Église et sa mise en oeuvre, qui peut parfois relever du juge interne. Pour le moment très isolée, cette jurisprudence pourrait prendre une importance plus grande si l'Église se décidait enfin à sanctionner systématiquement les ministres du culte qui ont commis des atteintes sexuelles, en particulier sur des enfants. Certes, ils peuvent être poursuivis par le juge pénal comme n'importe quel auteur d'infractions, mais il est utile de s'assurer que le pouvoir disciplinaire de l'Église s'exerce dans le respect des garanties imposées par le droit, et particulièrement dans la transparence.