« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 24 novembre 2017

Viol : la présomption de non-consentement des enfants

Nicole Belloubet, ministre de la Justice, annonce le dépôt au printemps 2018 d'un projet de loi mettant en place une présomption de non-consentement du mineur dans le cas d'une relation sexuelle avec un majeur. L'âge en dessous duquel toute relation sexuelle serait présumée constituer un viol reste à déterminer, et la ministre estime qu'il pourrait s'établir entre treize et quinze ans. Ce sera, à l'évidence, l'un des points essentiels du débat parlementaire. 

Les propos tenus par Nicole Belloubet sont purement réactifs et on comprend bien que la réflexion sur le sujet n'est pas encore réellement engagée. L'annonce d'une réforme législative vise en effet à répondre à une émotion qui s'est manifestée dans l'opinion après deux affaires touchant des mineures. Dans la première, la Cour d'assises de Seine-et-Marne a acquitté un homme de trente ans jugé pour le viol en 2009 d'une enfant de onze ans. Les jurés ont estimé que le viol n'était pas caractérisé, dès lors que la relation sexuelle avait été consentie et que la liaison n'avait été découverte que plusieurs mois après, au moment où la jeune fille avait avoué sa grossesse. Dans la seconde affaire, des poursuites ont été diligentées par le parquet de Pontoise à l'encontre d'un homme de vingt-huit ans accusé d'atteinte sexuelle sur une enfant également âgée de onze ans. Et l'atteinte sexuelle, ce n'est pas le viol.

Viol et atteinte sexuelle


L'article 227-25 du code pénal réprime le fait "par un majeur, d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans". Ce délit est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Le viol, en revanche, est défini par l'article 222-23 du code pénal comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise". Il s'agit d'un crime qui, commis sur un mineur, peut valoir à son auteur une peine de vingt ans de prison et de 150 000 € d'amende. 

Dans les deux affaires, en Seine-et-Marne comme à Pontoise, la question importante est celle de la qualification juridique des faits. La Cour d'assises de Seine-et-Marne a considéré que le viol n'était pas caractérisé. A Pontoise, le parquet a retenu l'atteinte sexuelle, estimant ne pas être en mesure de poursuivre pour viol. Dans les deux cas, s'il y avait bien eu pénétration, les conditions de "violence, contrainte, menace ou surprise" n'étaient pas remplies. L'enfant ne s'était pas opposée à l'acte sexuel et avait au contraire déclaré y avoir consenti.

Le consentement de l'enfant


Mais comment interpréter la parole de l'enfant ? Quelle valeur attribuer à son consentement ? Il est clair qu'une enfant de onze ans n'est pas dans une situation d'égalité avec un adulte qui a plus de deux fois son âge, et qu'elle ne dispose pas de la maturité requise pour donner son consentement en sachant exactement à quoi elle consent. En d'autres termes, son consentement n'est ni libre, ni éclairé. La question revient donc à chercher les moyens juridiques d'écarter ce consentement qui empêche les poursuites pour viol.

Arman. Le massacre des innocents. 1961


La présomption de non consentement


La ministre de la Justice propose d'adopter une présomption du non-consentement pour les mineurs en dessous d'un certain âge, entre onze et quinze ans, avec, semble-t-il une petite préférence pour un seuil de treize ans. Cette présomption permettrait de criminaliser les relations sexuelles avec un enfant en systématisant les poursuites pour viol. Mais elle présente aussi des inconvénients non négligeables. 

Le premier est lié à la nature de la présomption. La présomption irréfragable n'existe pas, en principe, en matière pénale car elle porte atteinte à la liberté de la preuve. Il reste donc la présomption simple, mais cette dernière, par définition, laisse à l'auteur de l'infraction la possibilité d'apporter la preuve contraire. Dans le cas d'espèce, la présomption simple autoriserait donc la défense à démontrer qu'il n'y a eu ni violence, ni contrainte, ni menace, ni surprise, l'enfant ayant été consentante. En bref, on revient à la case départ, et la réforme de Madame Belloubet ne sert à rien.
Par ailleurs, la ministre ne semble pas avoir envisagé l'impact d'une telle réforme sur les autres victimes de viol. Supposons que la présomption de non-consentement s'applique aux enfants de 13 ans.. Doit-on en déduire que le consentement d'un mineur de 14 ans sera toujours pris en compte et que l'auteur ne pourra être poursuivi que pour atteinte sexuelle ? Quant aux adultes majeurs victimes d'un viol, ne risquent-ils pas d'être contraints d'apporter la preuve qu'ils ont été victimes de violence, contrainte, menace ou surprise, obligés ainsi de démontrer l'absence de consentement ? En d'autres termes, la réforme risque d'avoir des effets négatifs pour les autres victimes de viol, par une sorte de déplacement plus ou moins insidieux de la charge de la preuve.

D'autres solutions


Il y aurait pourtant d'autres solutions. La plus simple consisterait à utiliser le droit positif. Dans une décision du 7 décembre 2005, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que le jeune âge peut, en tant que tel, être utilisé pour démontrer la contrainte ou la surprise, éléments indispensables à la qualification de viol. Dans l'affaire soumise à la Cour, il s'agissait d'agressions sexuelles, d'ailleurs commises par un mineur, concernant trois enfants entre dix-huit mois et cinq ans. Serait-il impossible d'élargir cette jurisprudence à des adolescents qui, même s'ils sont mieux en mesure de s'exprimer, ne peuvent tout de même pas formuler un consentement libre et éclairé ? 

La loi du 8 février 2010  offre une autre piste de réflexion. L'agression sexuelle est définie par l'article 222-22-2 du code pénal comme "le fait de contraindre une personne par la violence, la menace ou la surprise à subir une atteinte sexuelle". Or, la loi de 2010, précise que cette contrainte peut être d'ordre moral, et qu'elle est susceptible de résulter de la différence d'âge entre une victime mineure et l'auteur des faits ainsi que de l'autorité qu'il exerce sur la victime. Une telle disposition pourrait parfaitement être appliquée en matière de viol, et il serait possible de considérer que la violence résulte de la seule différence d'âge entre la victime mineure et l'auteur du viol. Il suffirait tout simplement de l'ajouter à la loi.

La question du consentement, ou plutôt de l'absence de consentement des enfants, pourrait ainsi être résolue avec des ajustements du droit positif, une sorte de mise à niveau des textes pour éviter ce qui ressemble bien à un vide juridique. Certes, mais l'évolution serait peu spectaculaire. Il est plus tentant pour la ministre de la justice d'annoncer une nouvelle loi à laquelle elle pourrait attacher son nom. Elle cite d'ailleurs pêle-mêle d'autres réformes qui pourraient y figurer, celle de la prescription en matière de viol, ou la transformation du "harcèlement de rue" en "outrage sexiste". Pour le moment, tout cela semble bien improvisé, et l'on gagnerait sans doute à réfléchir un peu.


3 commentaires:

  1. DES INQUIETANTES DERIVES DE LA COMMUNICATION !

    Sur un sujet aussi sensible sur le plan humain que juridique, on s'attendait de la part de l'exécutif à un minimum de hauteur, de distance, de bon sens afin de prendre toute la mesure du problème après deux décisions de justice qui interpellent. Que nenni ! Ce serait plutôt du genre concours Lépine des plus mauvaises idées qui vient d'être lancé par le(la) Garde(sse) des Sceaux, pourtant femme à la réputation affirmée de pondération. Sa démarche est frappée au coin de deux types d'erreur.

    === UNE ERREUR DE METHODOLOGIE ===

    Compte tenu de l'ampleur du défi, n'aurait-il pas été plus opportun de lancer une vaste réflexion sur le sujet conduite par un groupe de personnalités éminentes chargées de produire un rapport abordant le problème sous toutes ses facettes à une échéance d'un an pour éviter la pression publique ? On préfère lancer des idées en l'air sans en mesurer les conséquences. On privilégie la communication à la réflexion, la passion à la raison, le doigt mouillé au droit positif...

    === UNE ERREUR DE TRAITEMENT ===

    On comprend bien, à lire votre post, les problèmes de principe graves que soulève cette question : définition (viol ou atteinte sexuelle), périmètre (consentement ou non consentement), caractérisation (présomption ou non présomption). Toutes questions qui ne se traitent pas sur un coin de table en quelques secondes en fonction de l'humeur du jour. Elles supposent une remise à plat de toutes les normes adoptées de manière désordonnée au fil du temps, le mal de l'inflation normative. Quel est, au juste, l'âge de la majorité sexuelle (13 ans, 15 ans ?) ? Veut-on abaisser ce seuil ou bien le relever ? Quelle relation avec la majorité civique (18 ans) ? Tout ceci n'est pas anodin et devrait conduire à éviter la pensée clé en main (l'avalanche de formules creuses) servie sur les chaînes d'abrutissement en continu.

    Ainsi va le monde macronien ! Communiquez, communiquez... Il en restera toujours quelque chose. "Un président qui se veut maître des horloges mais qui est surtout le maître du rêve" ("Macron : miracle ou mirage ?", Pierre-André Taguieff, éditions de l'Observatoire). Un esprit porté à l'impertinence et à l'irrévérence pourrait qualifier cette démarche d'hypocrite et de dangereuse.

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  2. Bonjour !
    Merci beaucoup pour votre excellent blog. Je viens de lire cet article avec attention.
    Sauf erreur de ma part, l'article 222-22-1 du Code pénal qui dispose que "La contrainte prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime" est applicable à l'ensemble des agressions sexuelles, dont le viol. Sauf erreur de ma part bien-sûr, le viol est une agression sexuelle, impliquant une pénétration sexuelle, tandis que les autres agressions sexuelles proprement dites correspondent aux atteintes à caractère sexuel, hormis la pénétration. Cette disposition est d'ailleurs placée en tête des dispositions concernant le viol puis les autres agressions sexuelles. Toutefois, cet article du Code pénal n'est qu'une disposition interprétative, laissée à l'appréciation souveraine des juges du fond. Elle n'est qu'une sorte de cadre que les juges peuvent ou non prendre en compte, comme l'affirme le Conseil constitutionnel dans une décision du 6 février 2015.

    Bon week-end à vous !

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  3. HAUCHEMAILLE Stéphane25 novembre 2017 à 18:21

    Contrairement à l’atteinte sexuelle, le viol peut être commis par un mineur, y compris de moins de 15 ans. Cela ne complique-t-il pas aussi les choses ?

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