« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 20 juillet 2014

L'interdiction de la manifestation de soutien aux victimes palestiniennes : ordre public ou ordre moral ?

L'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Paris le 19 juillet 2014 confirme la décision du préfet de police de Paris interdisant de manifester en soutien des victimes civiles palestiniennes de l'intervention israélienne à Gaza. Plusieurs groupements, parmi lesquels le Nouveau parti anticapitaliste, le parti des Indigènes de la République et l'Union française juive pour la paix avaient en effet saisi le juge d'une demande de référé-liberté (art. 521-2 cja). Ils demandaient la suspension de cette décision considérée comme une atteinte à une liberté fondamentale, la liberté de manifester.

Une liberté fondamentale


Le juge ne peut pas refuser de considérer la liberté de manifester comme une liberté fondamentale, au sens de l'article 521-1 cja. Pour le Conseil constitutionnel, la liberté de manifester se rattache au "droit d'expression collective des idées et des opinions" (décision du 18 janvier 1995). Pour la Cour européenne, elle est plutôt liée à la "liberté de réunion pacifique" garantie par l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme. La liberté de manifester est donc rattachée, tantôt à la liberté d'expression, tantôt à la liberté de réunion, deux libertés aussi "fondamentales" l'une que l'autre.

Le régime juridique des manifestations relève du décret-loi du 23 octobre 1935. Il prévoit une déclaration auprès du préfet de police par les organisateurs entre trois et quinze jours avant la date prévue. Elle doit mentionner l'objet, le lieu et l'itinéraire de la manifestation. Ce régime de déclaration préalable a pour objet de permettre l'exercice de la liberté de manifester et de garantir qu'elle s'exercera dans le respect de l'ordre public. En effet, les informations données au préfet de police permettent l'ouverture d'une négociation très concrète sur la date, et le lieu du rassemblement, l'itinéraire du cortège etc.. Nul n'a oublié par exemple que des divergences avaient opposé les responsables de la Manif' pour tous au préfet de police de Paris. Les premiers voulaient manifester aux Champs Elysées, le second estimait qu'il était impossible de maintenir l'ordre public sur cette avenue très commerçante et remplie de touristes. A l'époque, la négociation avait permis de maintenir la manifestation, en interdisant seulement l'accès aux Champs Elysées.

En l'espèce, les groupements requérants affirment qu'aucune négociation n'a été engagée. Le préfet de police ne le nie d'ailleurs pas, reconnaissant qu'il "s'est résolu à interdire" la manifestation, après qu'un premier rassemblement, le 13 juillet, ait suscité des violences, notamment autour de lieux de cultes. C'était il y a cinq jours, et la préfecture affirmait alors que ces heurts étaient dus à de petits groupes de jeunes gens "facilement contenus". Autrement dit, il avait alors été parfaitement possible de rétablir l'ordre public.

Manifestation du Rassemblement populaire. juillet 1935.


Une nouvelle atteinte à la jurisprudence Benjamin


La question posée au juge est donc celle de la proportionnalité de la mesure d'interdiction. L'ordonnance se réfère expressément à la célèbre jurisprudence Benjamin de 1933, celle-là même qui était en cause dans l'affaire Dieudonné. Rappelons qu'elle prévoit un contrôle maximum sur les mesures administratives portant atteinte à une liberté publique. L'interdiction générale et absolue d'exercer une liberté ne peut être prononcée que s'il n'existe aucun autre moyen de garantir l'ordre public. 

Est-ce le cas en l'espèce ? C'est ce qu'affirme le juge, se référant au "climat actuel de vive tension entre les partisans des deux causes". Il reprend purement et simplement l'argument du préfet de police estimant que le précédent des incidents suffit à justifier l'interdiction générale et absolue. La situation est donc identique à celle qui existait dans la décision Dieudonné : l'interdiction est justifiée par l'existence de troubles hypothétiques.

Si le juge avait réellement appliqué la jurisprudence Benjamin, il aurait dû s'interroger sur l'adéquation entre les moyens et les résultats, et poser la question suivante : la préfecture de police parvient-elle à prouver qu'elle n'a pas d'autres moyens d'assurer l'ordre public que d'interdire une manifestation ? N'est-elle pas en mesure de lutter contre ces "petits groupes de jeunes gens facilement continus" auxquels elle faisait allusion au soir du 13 juillet ? 

Du contrôle maximum au contrôle minimum


A dire vrai, le juge refuse de poser la question. Après l'affaire Dieudonné, c'est donc la seconde remise en cause de la jurisprudence Benjamin. On passe insensiblement du contrôle maximum au contrôle minimum. Dans ce type de contrôle qui n'existe plus guère que dans le cadre de décisions relevant du pouvoir discrétionnaire le plus absolu, le juge s'assure seulement que la décision administrative n'est pas manifestement disproportionnée par rapport aux buts poursuivis. En l'espèce, le juge des référés, se borne à énoncer que "le préfet de police n'a pas portée une atteinte grave et manifestement illégale" à la liberté de manifester. L'emploi de l'adverbe "manifestement" sonne comme un acte manqué. Nous sommes dans un contrôle qui se proclame maximum et qui se révèle minimum. 

Le juge s'interdit de pénétrer profondément dans les motifs de la décision administrative laissant finalement au préfet de police toute latitude pour interdire l'exercice des libertés. Dans ces conditions, peut-on être certain qu'il s'agit effectivement de protéger l'ordre public ? A moins qu'il ne s'agisse de protéger un certain ordre moral ?

Quoi qu'il en soi, si l'on considère que toute l'histoire du contrôle des actes de l'administration est d'abord l'histoire de l'approfondissement du contrôle des motifs, on mesure la régression que représente ce retour à un contrôle minimum. 

Le juge administratif, ou le pompier pyromane


Reste à s'interroger sur les conséquences de la décision. Dans les villes où les manifestations ont été autorisées, elles se sont passées dans le calme, comme à Lille, à Bordeaux ou à Marseille. En revanche, la décision du tribunal administratif a finalement conduit à des violences entre manifestants bravant l'interdiction et forces de police ayant mission de la faire respecter. On se souvient que, tout récemment, dans son intervention du 14 juillet 2014, le Président de la République a affirmé sa volonté de ne pas importer le conflit israélien-palestinien sur notre territoire. Un vrai succès.


2 commentaires:

  1. Votre démonstration interpelle le citoyen français sur l'efficacité des garanties que peuvent lui apporter une norme d'exception (le droit administratif) et un édile d'exception (le juge administratif) pour assurrer la protection réelle de leurs droits et libertés.

    - Le droit administratif est un droit exorbitant du droit commun. Par sa nature même, ne déroge-t-il pas à la lettre, si ce n'est à l'esprit de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme du Conseil de l'Europe ? Censé canaliser la "raison d'Etat", n'encourage-t-il pas au contraire les dérives de la "déraison d'Etat" ? Les exemples que vous nous présentaient régulièrement sur LLC tendraient à en apporter la preuve.

    - La juridiction administrative est une juridiction d'exception, au moins à deux titres.

    * Par son origine, le "juge" administratif est plus haut fonctionnaire que magistrat. Ce qui le conduit souvent à "juger" plus en opportunité (politique) qu'en droit (positif).

    * Par sa pratique, ceci vaut encore plus pour le Conseil d'Etat que pour le tribunal administratif. Comme son nom l'indique le Conseil d'Etat est plus conseil de l'Etat que juge de l'Etat ; plus avocat de l'Etat que juge de l'Etat. Ses membres font des allers et retours permanents entre leur juridiction et l'exécutif (cabinets ministériels, grandes directions des administrations et des entreprises publiques). Est-il le "juge indépendant et impartial" au sens de l'article 6 de la Convention précitée ?

    En France, l'exception est trop souvent la règle. Pourquoi, à l'avenir, l'Etat et ceux qui le représentent ne seraient-ils pas soumis au au droit commun plus respectueux du droit à un procès équitable (administration de la preuve, présomption d'innocence, égalité des armes...) que la juridiction administrative ? Vaste programme, dirait le général de Gaulle qui n'avait pas un penchant particulier pour la juridiction administrative. Mais celà, c'est une autre histoire...

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  2. Ceux qui soutiennent les Palestiniens et qui jouent les guerriers fantoches en France peuvent aller en Palestine se battre, là ils risqueront quelque chose, et nous on sera débarrassé, c'est trop facile lorsque l'on risque rien. Je n'était pour personne maintenant je soutien Istraël. Un Français ni Juif ni arabe.

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